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PARMI VOS POETES DE CHEVET, QUEL EST CELUI QUI VOUS SEMBLE MALHEUREUSEMENT LE PLUS OBSCUR, LE MOINS LU ? QUELQUES MOTS SUR LUI ?

Francesco Pittau : Jude Stéfan.

Paul Jullien : Ernest Hello - Michaux lui doit tout, limpidité extraordinaire pour une pensée qui ne peut pas être comprise tant elle est totale.

Stéphane Bernard : Jude. Stéfan. Oui, effectivement, quelques mots. Merci, Francesco…  Je prends quand même, Paul, mais j'avais dit « poète », histoire de restreindre - et surtout parce qu'un poème peut être une porte un peu moins volumineuse à mouvoir pour entrer dans un nouveau monde. D'ailleurs, je veux bien aussi un poème pour faire découvrir l'auteur… Simple à trouver ce Hello ?

Paul Jullien : Il est complètement oublié mais réédité par une petite maison d'édition qui a fait un très beau boulot. Bloy en parle dans son brelan d'excommunié sous le dénominatif du « fou » (en présence tout de même, de Barbey d'Aurevilly et de Paul Verlaine). Et pour moi il n'est rien d'autre qu'un poète. User de la matière théologique pour faire de la poésie. J'ai ses livres mais pas sous la main... J'en filerai un bout quand je pourrai.

Stéphane Bernard : Donc, ça marche. Je lis Nietzsche, Weil et Bataille comme on lit des poètes, alors je comprends… Et voici un poème de Jude Stéfan  (tiré de Povrésies) :
Trapue Sauvage Noire
au redoublement de leurs éventails
scandant les véroniques
le cheval aveuglé répand ses entrailles
avant que par cinq fois l’épée n’effondre
la Victime
honteusement traînée sur le sable : ce soir
elles ouvriront leurs cuisses
à la corne effilée
elles crieront imitant l’orchestre
et demain prieront en mantille ou
danseront farouchement le jota
sueur et sang, poils et raucités
sont leur dot.
Ce texte me fait penser à ces sortes de poèmes qu'il y a dans la trilogie USA de Dos Passos, et que j'adore. Ce recueil - Povrésies - est-il entièrement comme ça, Francesco ?

Francesco Pittau : Ouaip…

Stéphane Bernard : Donc une sorte de oui ?

La Nouille Martienne : C'est difficile comme question, Stéphane, car beaucoup de bons poètes sont peu ou mal connus mais comme nous sommes ici entre amateurs éclairés je ne vois pas dans ma chambre (à part les américains en version originale comme Margaret Atwood ou Sylvia Plath - traduite récemment par Valérie Rouzeau -, Alicia Ostriker ou Katrina Vandenberg...) d'auteurs obscurs. J'aime beaucoup Venus Khoury Ghata, Antoine Emaz, Benjamin Fondame, Nelly Sachs parmi d'autres qui restent à portée de mains selon l'humeur et le temps. Parmi les contemporains publiés, je relis parfois Denis Peiron, François-Xavier Maigre,  Georges Vernat. Très récemment découverte et appréciée, Denise Desautels ,ou encore Yannick Torlini. Volontairement je tairais, de peur d'en oublier un, ceux et celles dont je fréquente assidument les blogs, parfois sans laisser de trace. Mais, et je pense que cela finit par se voir, je suis absolument fan du poète Ez Nogood, qui écrit comme j'aurais aimé pouvoir le faire et dont je connais une multitude de poèmes par cœur tant le sujet abordé, le style, le rythme, le souffle, la musicalité des mots, le sens, etc., me frappent à l'âme. Qui plus est, il prend aussi des photos pour effacer la frontière entre monde intérieur et monde extérieur. Il faut aller voir et lire L'Etre de Caux ou Jours plissés.

Stéphane Bernard : Mais même éclairés nous avons tous une zone d'ombre qui aimerait avoir sa part de lumière quelque fois. En fait je vous donne à tous l'occasion de gommer, un peu, modestement, une injustice. Un auteur pas seulement bon, mais excellentissime, et qui n'est presque pas lu. Personnellement, que le nom de William Bronk ne soit jamais prononcé nulle part me stupéfie. Ce type est un superbe, immense poète. Un des plus puissants du vingtième.

La Nouille Martienne : C'est le problème avec la poésie en langue étrangère (ou ancienne, Sapho me vient en tête) qui implique une maîtrise de la dite langue par le lecteur car les traductions sont rares et souvent insatisfaisantes (poètes chinois ou hindou). Espérer un coup de projecteur sur ces auteurs ressemble à un acte de foi ! Elle reste, cette poésie, dans le domaine du confidentiel. Hélas, sauf à se montrer particulièrement fouineur sur le net qui a ouvert des portes sur les autres univers pour qui sait les trouver.

Stéphane Bernard : Bronk est bel et bien traduit (et impératif), et si j'étais plein aux as, je financerais un ou deux éditeurs rien que pour traduire l'intégrale d'un paquet de poètes américains : Sandburg, Teasdale, Bronk, Riding, tous les objectivistes, etc. Et puis je passerais à d'autres, ailleurs. J'embaucherais une armée de traducteurs passionnés par les auteurs qu'ils traduisent... Bon, ok, je me réveille.

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